Modifié le 2 février 2025 par epargnebourse.fr
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Introduction
Cet article constitue la seconde partie de l’article sur la psychologie des marchés financiers. Nous avons vu dans la première partie que les marchés obéissent à 4 lois :
- Les marchés anticipent.
- Les marchés sont peuplés de foules irrationnelles.
- Le chaos au sens mathématique du terme règne sur les marchés.
- Les marchés sont auto-réalisateurs.
Ces quatre lois mettent la pression sur le mental des investisseurs. Elles les poussent à agir de façon irrationnelle et pire encore, en tant que foule irrationnelle. Leur psychologie collective, la psychologie des marchés financiers s’interprète de façon simplifiée mais efficace au travers des niveaux :
- de peur
- et de cupidité.
Dans cette seconde partie, nous abordons :
- l’importance du narratif dans la formation de la psychologie des marchés
- les moyens d’analyser la cohérence du narratif avec la réalité
- les moyens de mesurer et surveiller l’évolution de la psychologie des marchés.
Nous aimons tous les histoires
Les histoires jouent un rôle crucial dans la vie humaine. Joseph Campbell le grand mythologue et écrivain Américain a montré comment les histoires connectent les gens à un patrimoine culturel partagé. Les meilleurs récits sont d’ailleurs tellement puissants qu’ils peuvent traverser le temps et perdurer pendant des siècles comme ceux de Molière ou de Victor Hugo.
Nous allons voir que le narratif peut aussi jouer un rôle important dans la formation de l’opinion des investisseurs et dans la psychologie des marchés financiers.
Le Narratif en Bourse
« Les marchés ne réagissent pas seulement aux chiffres, mais aussi aux histoires qui les accompagnent. »
Charlie Munger
Nombreux sont les grands investisseurs comme Charlie Munger qui mettent en avant l’importance du narratif sur les marchés financiers. Les récits bien construits contribuent à façonner la manière dont les investisseurs perçoivent la réalité économique. A la différence des données macro économiques et des données financières, qui nécessitent du travail de réflexion, les narratifs constitue du prêt à « penser » pour beaucoup d’investisseurs. Les narratifs bien construits ont ainsi le pouvoir de mobiliser le plus grand nombre et de déclencher des mouvements de masse.
Un récit convaincant peut inciter les investisseurs à acheter ou vendre, même en l’absence de changements fondamentaux.
Les narratifs peuvent concerner :
- Un marché dans son ensemble : Les actions Allemandes, les actions Françaises, …
- Un secteur : L’industrie du luxe, l’industrie du cloud, …
- Une action : Lvmh, Microsoft, …
Avec l’avènement des médias sociaux, le pouvoir du narratif a été amplifié. Les narratifs circulent plus rapidement, les récits sont répétés dans les tweets, les articles de blog et les discussions en ligne.
En tant qu’investisseurs nous devons être conscients de l’impact important de ces récits sur la psychologie collective des marchés. Et comprendre dans quelle mesure, ces narratifs sont en phase avec la réalité économique.
Origine des narratifs
Les narratifs sont rarement une description factuelle et neutre de la réalité, ils servent un objectif. Ils sont dans ce cas construits dans les départements Communication des entreprises, des fonds d’investissements, des banques d’affaires, des cabinets ministériels.
Ils sont ensuite repris souvent sans beaucoup d’esprit critique par les médias qui diffusent ce qui a vocation à former le sentiment général.
Bien sur, il y a des exceptions et certains narratifs se construisent sur l’émergence dans l’actualité d’un événement économique, politique, militaire, …
Exemples de narratifs ayant eu un impact majeur sur les marchés :
- Boom Dot Com (1990s) :
- Narratif : La « nouvelle économie » est basée sur la technologie de l’information, les règles économiques traditionnelles ne s’appliquent plus de la même manière.
- Impact : La spéculation intense a conduit à une bulle technologique, suivie d’un krach en 2000.
- Bulle de l’immobilier Américain avant la crise des Subprimes (2003-2007) :
- Narratif : L’immobilier Américain est l’actif le plus solide, il ne baissera jamais, acheter plusieurs biens immobiliers à crédit est le meilleur moyen de s’enrichir très rapidement.
- Impact : Lorsque le marché a commencé à baisser, le niveau d’endettement et de financiarisation (Prets-subprimes, MBS, CDO, …) a déclenché la crise financière mondiale et entraîné une récession mondiale.
- Récit des Actions Vertes (2020-2021) :
- Narratif : Les investissements durables et les énergies renouvelables sont la nouvelle économie des pays développés, ils sont l’occasion de décarboner l’économie tout en créant une croissance rentable et durable.
- Impact : Les actions liées à l’énergie verte ont attiré l’attention des investisseurs, entraînant des hausses de prix parfois exponentielles avant d’être suivi par des plongeons tout aussi spectaculaires (Hopium, Siemens Energy, …).
Ces exemples illustrent bien comment les récits peuvent influencer les perceptions des investisseurs et contribuer à la formation de tendances, et même de bulles sur les marchés financiers.
Exemples actuels
Au moment ou j’écrit ces lignes, début Janvier 2024, au moins deux narratifs dominent sur les marchés :
- L’intelligence Artificielle est la nouvelle frontière de la technologie, elle va révolutionner les usages, augmenter la productivité et faire la richesse des sociétés spécialisées comme NVIDIA, Microsoft, Tesla, tout autant que des entreprises utilisatrices. Elle justifie que les actions montent car les bénéfices à venir seront considérables.
- La baisse de l’inflation est en bonne voie, elle va permettre aux banques centrales de baisser les taux dès Mars 2024 ce qui va continuer d’assurer une croissance économique forte.
Utiliser les narratifs pour investir
Les narratifs sont omniprésents sur les marchés. Mais, il est fondamental de savoir si un narratif donné est :
- essentiellement connecté à la réalité
- largement déconnecté de la réalité
Ma façon d’exploiter les narratifs ambiants est la suivante :
- Accompagner les narratifs tant qu’ils sont connectés à la réalité, même s’ils ont pris un peu d’avance sur celle ci.
- Sortir des positions, voir prendre des positions inverses au moment ou les narratifs sont trop déconnectés et ou ils commencent à avoir moins d’effet sur les cours
Il ne s’agit pas d’une situation binaire, les changements sont progressifs. Il est important de se laisser porter par les narratifs surtout quand ils sont globaux et largement relayés dans les medias. Ils peuvent générer des tendances durant des mois, voir des années et il serait dommage de se priver des plus values qu’ils peuvent offrir.
Nous avons au moins trois moyens pour mesurer si un narratif est plus ou moins connecté à la réalité :
- Nous pouvons contrôler si les publications financières, en particulier celles des chiffres d’affaires sont en phase avec le narratif.
- quand cela est possible, nous pouvons lire les avis des clients sur Google, Amazon, … et ceux des salariés sur Glassdoor
- Nous pouvons analyser Google Trends pour vérifier si un narratif prend de l’ampleur dans les recherches Google.
Rapports financiers et Narratif
Vous devez lire les rapports financiers en faisant preuve d’esprit critique. Cherchez des incohérences entre les chiffres réalisés et l’histoire que raconte l’entreprise. Si le narratif de la société n’est pas visible dans les chiffres les plus récents, c’est qu’il y a un problème. Il faut être particulièrement vigilant aux croissances du chiffre d’affaires, aux parts de marché, aux nombres de clients, …
Google Trends et Narratif
Un autre moyen à votre disposition est google trends. Il mesure les poids des recherches sur google pour n’importe quel sujet. C’est un outil puissant et personnellement, je l’utilise beaucoup.
Prenons un exemple : Il y a quelques mois, la Direction de Volkswagen avait lancé une campagne médiatique sur sa gamme de voitures électriques (ID). Les médias s’en faisaient l’echo. Cette fois, c’était sur, les Tesla killers arrivaient. Mais en tant qu’investisseur, nous aurions voulu savoir : « Est ce que le publique, l’ensemble des clients potentiels » est intéressé par ces voitures de Volkswagen, fait-il des recherches sur google ?
Le graphique ci-dessous permet de constater l’absence quasi totale d’intérêt du publique pour ces véhicules du groupe Volkswagen par rapport à la Tesla model 3. Les données portent sur les 12 derniers mois.

Ce graphique permettait très simplement de comprendre que les nouveaux modèles ne suscitaient pas l’intérêt des acheteurs potentiels. Dès lors un investisseur pouvait facilement choisir de nos pas investir pour le moment dans la transition électrique de VW.
Google Trends n’est pas un outil parfait, mais il donne de très bonnes indications et il permet à investisseurs particuliers d’avoir très rapidement et simplement accès à des informations très puissantes.
« Mesurer » la psychologie des marchés
Nous avons vu dans la première partie de cet article que la psychologie des marchés se comprend à travers des niveaux :
- de peur
- et de cupidité
Marché Américain
Comme d’habitude, il existe davantage de données sur le marché US que de notre coté de l’Atlantique. J’analyse 5 indicateurs de sentiment que je publie sur la forme d’un tableau récapitulatif chaque semaine dans mes analystes techniques des marchés US.
Chacun de ces indicateurs fera l’objet d’un article spécifique:
- L’indice Fear & Greed de CNN est le plus utilisé des indicateurs de sentiment du marché US. Un article dédié lui est consacré. Il fourni un score entre 0 et 100. Plus le chiffre est bas, plus le marché est dominé par la peur (pessimisme), plus il est haut, plus le marché est dominé par la cupidité (optimisme).
- Le VIX est calculé par le CBOE (Chicago Board Of Exchange). Un article dédié lui est consacré. Il fourni un score entre 0 et 100. A l’inverse de l’indice Fear & Greed, plus le chiffre est bas, plus le marché est dominé par la cupidité, plus il est haut, plus le marché est dominé par la peur.
- L’indicateur « acheteurs – vendeurs » de l’AAII (American Association of individual Investors) donne chaque semaine le % des membres ayant pris des positions à l’achat ou à la vente sur les actions Américaines.
- L’indicateur d’exposition de la NAAIM (National Association of Active Investment Managers) donne chaque semaine le niveau d’exposition de ses membres aux actions Américaines.
Je publie ces données chaque semaines ainsi qu’un indicateur composite dans mon analyse technique du S&P 500.

Marché Français et Zone Euro
Le marché Américain a une très forte influence sur ceux de la Zone Euro. L’analyse de la psychologie des marchés US est une très bonne première indication de celle de la zone Euro. On peut compléter l’analyse par :
- Le VIX de la zone Euro, calculé sur l’Euro Stoxx 50
- les spreads de taux entre les emprunts d’états Allemands et Italiens.
Je publie ces deux données avec mon analyse technique hebdomadaire du CAC 40.
Stratégies d’utilisation de la psychologie des marchés financiers
Seth Klarman, gestionnaire de fonds de couverture, recommande l’approche contraire au marché : « Vous devez acheter quand il y a du sang dans les rues, même si c’est le vôtre. » Cette stratégie contrariante peut capitaliser sur les réactions émotionnelles excessives des marchés.
Attention, les stratégies contrariantes sont séduisantes mais elles sont à utiliser avec discernement :
« Les marchés financiers peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable.
John Maynard Keynes, économiste britannique
Un investisseur contrarian peut avoir « théoriquement » raison en détectant un excès de marché. Mais un excès du marché, qu’il s’agisse de la peur ou de la cupidité peut se poursuivre et se transformer en un excès encore plus excessif. L’investisseur contrarian prend donc le risque de rentrer trop tôt dans le mauvais sens et bien avant que la foule n’ai compris son erreur.
Il faut donc utiliser ces stratégies en conjonction avec d’autre données, par exemple l’analyse des niveaux de valorisation. Cette combinaison est particulièrement puissante.
La gestion de risque (money management) doit aussi être précise.
En résumé :
- Niveau de peur / pessimisme extrême :
- La foule des intervenants est rongée par des scénarios noirs, elle a peur. Les gens ont déjà beaucoup vendu, les prix ont beaucoup baissé.
- Plus le mouvement est extrême, plus le pourcentage des investisseurs à avoir vendu leurs actions est important.
- Cela fait une grosse réserve potentielle d’acheteurs
- La façon d’investir généralement recommandée est de surveiller un premier changement de direction du sentiment (donc une baisse du niveau de pessimisme), de rechercher une confirmation par le niveau de cherté (PER, …) et de rentrer à l’achat à ce moment là.
- Niveau cupidité / optimisme extrême :
- La foule des intervenants a des scénarios roses plein la tête, elle est devenue totalement cupide. On parle parfois de FOMO (Fear Of Missing Out) .
- Plus le mouvement est extrème, plus le volume d’investisseurs a avoir déjà acheté est important.
- Cela fait une grosse réserve de vendeurs
- La façon d’investir généralement recommandée est de surveiller un premier changement de direction du sentiment (donc une baisse du niveau d’optimisme), de rechercher une confirmation par le niveau de cherté (PER, …) et de vendre à ce moment là. On peut aussi vendre à découvert (shorter) mais cela est plus dangereux sur les indices actions.
- Niveaux intermédiaires d’optimisme / pessimisme : Se laisser porter par la tendance et le narratif dominant, en tout cas tant que l’on ne détecte pas de déconnection trop importante.
Conclusion
Au travers de ces deux articles sur la psychologie des marchés financiers, nous avons vu que les marchés obéissent à 4 lois :
- Les marchés anticipent.
- Les marchés sont peuplés de foules irrationnelles.
- Le chaos au sens mathématique du terme règne sur les marchés.
- Les marchés sont auto-réalisateurs.
Ces quatre lois mettent la pression sur le mental des investisseurs. Elles les poussent à agir de façon irrationnelle et pire encore, à se comporter comme une foule irrationnelle.
La psychologie des marchés financiers s’interprète de façon simplifiée mais efficace au travers des niveaux :
- de peur
- et de cupidité.
Nous avons vu que le narratif est un outil puissant pour forger les tendances, qu’il s’agisse des indices, des secteurs ou d’actions individuelles. Ils renforcent la peur ou la cupidité.
Les investisseurs peuvent ajuster leurs stratégies en mesurant le niveau de connexion de ces narratifs à la réalité grâce à :
- l’analyse des publications financières, en particulier celles des chiffres d’affaires, des parts de marché, …
- la lecture des avis des clients sur Google, Amazon, … et des salariés sur Glassdoor
- l’utilisation de Google Trends pour vérifier si un narratif prend de l’ampleur dans les recherches Google
Et enfin, nous avons listé les principaux indicateurs de suivi de la psychologie des marchés (CNN F&G, VIX, AAII, NAAIM, EU VIX, Spread des taux IT-DE). Ainsi que les stratégies permettant d’en tirer profit.
J’espère que ces deux articles vous auront sensibilisé à cet aspect de l’investissement relativement méconnu du grand publique mais pourtant très utilisé par beaucoup d’investisseurs professionnels.
A vous de jouer !
Cet article touche à sa fin, et j’espère qu’il vous a apporté des pistes de réflexion intéressantes. Si vous l’avez trouvé utile, n’hésitez pas à le partager en un clic :
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